« Manger, c’était l’enfer. À présent, j’ai de nouveau envie de cuisiner »
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« Manger, c’était l’enfer. À présent, j’ai de nouveau envie de cuisiner »
Après un traitement contre le cancer, rien n’est plus comme avant, Memory Gort en sait quelque chose. Seize cycles de chimiothérapie lui ont fait perdre le plaisir de manger : les repas provoquent des douleurs, chamboulent sa digestion et n’ont aucune saveur. Sa rencontre avec le cuisinier étoilé Mitja Birlo lui a enfin redonné envie de cuisiner.
Vive, énergique, toujours souriante, Memory Gort adorait inviter du monde. « J’aimais manger. J’adorais cuisiner et j’étais heureuse d’accueillir mes amis autour d’une table joliment dressée », raconte-t-elle. Cela, c’était avant son cancer du sein. Dans une vie antérieure.
Memory Gort se souvient encore du dernier bon repas qu’elle a fait avec des amis. « C’était le 17 mars 2018. Nous fêtions mes 42 ans, mais aussi le fait que, la veille, le médecin n’avait pas découvert de métastases dans mon corps », dit-elle. Malgré son cancer du sein diagnostiqué peu auparavant, elle se sentait heureuse, soulagée et envisageait le traitement qui l’attendait avec confiance.
Le supplice des repas
Les seize cycles de chimiothérapie ont eu raison de son optimisme. « Je n’arrivais plus à avaler, j’avais les muqueuses en sang et des diarrhées chroniques, ce qui ne m’a pas empêchée de prendre près de 30 kilos », poursuit-elle. Elle avait le sentiment de ne plus être elle-même, de disparaître toujours plus en tant que femme, en tant que personne. « J’avais mal partout. Tous mes cheveux étaient tombés et je me sentais blessée et étrangère à moi-même. Tout à coup, j’avais peur de manger ; les repas, c’était l’enfer. »
Memory Gort a serré les dents. Après une année et demie, elle a terminé sa chimiothérapie et sa radiothérapie. « Je savais que je devais passer par là, il n’y avait pas d’autre chemin possible. En même temps, je sentais combien mon corps luttait. » Ce n’était pas la première fois que la Grisonne atteignait ses limites, physiquement et moralement. La vie de Memory Gort pourrait remplir un roman. Une enfance difficile. Une tentative de suicide à 16 ans. Un grave accident de voiture à 24 ans. Puis les opérations, les séjours en clinique, les traitements contre la douleur, la morphine. À 40 ans, lorsqu’elle s’est réveillée aux soins intensifs après un pneumothorax survenu lors d’une opération de l’épaule, elle avait pris sa décision : « Cétait ma dernière opération. Plus jamais l’hôpital ! » Deux ans plus tard, elle apprenait qu’elle avait un cancer du sein.
Un oui clair et net à la vie
« Je me suis souvent demandé ce que la vie me réservait encore », raconte-t-elle. « Mais je suis quelqu’un de résilient. Après avoir tenté de m’ôter la vie à 16 ans, je me suis posé cette question : Memory, est-ce que tu veux vivre ou mourir à présent ? Et j’ai opté pour la vie. » À cette époque, elle ne savait pas encore que le chemin serait aussi ardu. « Mais j’ai toujours essayé de voir le côté positif, même quand ça n’allait pas. » C’est ainsi que, peu avant sa première chimiothérapie, elle a coupé ses longs cheveux noirs et elle s’est dit : « Memory, tu as toujours voulu avoir une coupe courte et cool. Eh bien, tu l’as maintenant ! »
Son envie de vivre a vacillé à deux reprises. La première fois pendant son traitement, lorsque son partenaire l’a quittée pour une autre après seize ans. La seconde en mai 2020, quand son amie Sina est décédée ; elle l’avait rencontrée à un cours de maquillage destiné aux femmes atteintes de cancer et toutes deux avaient noué une solide amitié. « Ces deux événements ont été un choc pour moi. Je me suis demandé si je voulais vraiment continuer à vivre. Puis je me suis dit : stop ! Sina voulait vivre et elle est morte. Comment est-ce que je peux penser à mourir alors que j’ai la chance d’être en vie ? »
« Je mange parce qu’il le faut »
Dans l’intervalle, elle a retrouvé une certaine sérénité. Elle a un nouvel ami et travaille à temps partiel pour l’administration cantonale. Mais le plaisir et l’envie de manger ne sont pas revenus. Les mets amers lui donnent des nausées, les plats piquants des diarrhées. Quant aux aliments acides, ils irritent ses muqueuses sensibles. « Du coup, je mange toujours la même chose : des pommes de terre, des pâtes, un peu de légumes et de salade. Comme ça, je limite les risques », dit-elle. Ce qu’elle mange lui est devenu égal, car pour elle, les aliments n’ont plus beaucoup de goût. « Aujourd’hui, je mange parce qu’il le faut, pas par plaisir. J’ai perdu une certaine qualité de vie. »
Une expérience déterminante
Sa rencontre avec le chef étoilé Mitja Birlo, organisée par la Ligue contre le cancer dans le cadre de son action RECIPES rewritten, a donc été « une expérience passionnante » (voir. page 13). « Mitja a adapté ses recettes pour moi de manière à ce que je perçoive le plus de saveurs possibles. En expérimentant différentes choses, j’ai découvert que je préfère certaines huiles à d’autres ; que j’aime les sauces liées ; qu’un mets qui craque sous la dent me fait découvrir de nouvelles saveurs ; qu’on mange aussi avec les yeux et que la texture et la température sont importantes. » Cette expérience a donné un nouvel élan à Memory Gort. « C’est comme si on avait remis les compteurs à zéro. J’ai de nouveau envie de tester des recettes et de faire preuve d’audace, comme Mitja, qui a accepté de s’ouvrir à l’aventure en cuisinant pour moi. »
Texte : Barbara Lauber ; photos : Atem Collective (Octobre 2021)
Les personnes concernées, les proches et toutes personnes intéressés peuvent s’adresser à InfoCancer en semaine par téléphone, courriel, chat ou WhatsApp de 10h à 18h.