Dr Omlin, pourquoi n’y a-t-il pas de programme de dépistage pour le cancer de la prostate comme pour le cancer du sein ?
Dr Aurelius Omlin : Par le passé, de vastes études ont été réalisées pour évaluer la pertinence d’un dépistage du cancer de la prostate au moyen du taux de PSA. Le PSA (antigène spécifique de la prostate) est une valeur sanguine qui peut donner des indications sur l’activité prostatique. Lorsque le taux était élevé, on effectuait généralement une biopsie, souvent sans découvrir de cancer, car une hypertrophie bénigne de la prostate ou une infection peuvent aussi augmenter le PSA. Cela entraînait beaucoup d’investigations inutiles et, parfois, de surdiagnostics. Ces études ont certes montré que le dépistage peut diminuer la mortalité, mais la plupart des pays ne recommandaient pas la mise en place d’un dépistage organisé.
Aujourd’hui, la recherche a fait un pas en avant : un diagnostic moderne au moyen d’une IRM permet, en cas de taux de PSA supérieur à la normale, de visualiser précisément la prostate et de procéder à une biopsie sélective des zones suspectes. L’Union européenne s’est donc à nouveau penchée sur la question du dépistage et teste actuellement des programmes ad hoc. Des initiatives dans ce sens sont aussi planifiées en Suisse.
La situation se présente-t-elle donc mieux pour les femmes que pour les hommes ?
En Suisse, il existe des programmes de dépistage du cancer du sein dans plusieurs cantons, mais pas partout. Du point de vue médical, ces programmes structurés sont nettement plus efficaces et plus fiables que le dépistage opportuniste, qui ne fait l’objet d’aucune coordination.
Que recommandez-vous aux hommes à titre préventif ?
En premier lieu, une discussion sur les bénéfices et les risques du dépistage systématique. Un examen est recommandé en particulier aux hommes qui font partie d’un groupe à risque, à savoir :
- tous les hommes à partir de 50 ans ;
- les hommes dès 45 ans en cas d’antécédents familiaux (cancers de la prostate, du sein ou de l’ovaire, p. ex.) ;
- les hommes d’origine africaine dès 45 ans ;
- les hommes porteurs une mutation génétique (mutation BRCA) dès 40 ans.
Des études récentes montrent que la palpation de la prostate dans le cadre de la prévention n’apporte guère de bénéfice additionnel. En cas de taux de PSA élevé, des investigations complémentaires sont réalisées, p. ex. à l’aide d’un calculateur de risque (qui tient compte du PSA, de l’âge, de l’histoire familiale, de la taille de la prostate, etc.). Suivant le résultat, une IRM est recommandée et, en cas d’image suspecte, une biopsie sélective.
Pourquoi les hommes ont-ils plus de mal à parler de leur santé que les femmes ?
Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Les jeunes femmes sont confrontées beaucoup plus tôt à des questions de santé, p. ex. pour éviter une grossesse ou dépister un cancer au moyen d’un frottis cervical. Ce n’est pas le cas actuellement chez les hommes et le dépistage du cancer ne commence souvent qu’à partir de 50 ans (pour le cancer de la prostate et de l’intestin). Dans ma consultation, je conseille à tous les hommes qui ont des frères ou des fils d’aborder la question et de les sensibiliser, par exemple en les invitant à se faire dépister dès 45 ans lors d’antécédents familiaux.
En tant qu’expert, vous travaillez depuis longtemps déjà avec la Ligue contre le cancer, qui apprécie beaucoup cette collaboration. Vous semblez avoir un bon contact avec vos patients. Pourquoi cela est-il important ?
En oncologie, nous suivons souvent les patients sur une longue durée. Ensemble, nous connaissons des moments de soulagement lorsque la maladie réagit bien au traitement ou que le cancer ne réapparaît pas. Mais il y a aussi des moments d’incertitude et d’angoisse, comme lorsqu’un examen révèle un nouveau problème ou que la maladie progresse. Pour utiliser une image, je vois mon rôle comme celui d’un guide de montagne qui conduit patients et proches sur un chemin difficile en essayant de garantir leur sécurité.
Quel rôle jouent les proches, l’entourage ?
Il est extrêmement important d’inclure les proches et j’apprécie qu’ils accompagnent le patient en consultation. Je suis en effet conscient qu’ils se font leurs idées de leur côté. Souvent, les choses sont plus simples lorsque le ou la partenaire entend directement les informations pendant la discussion.
Le soutien de l’entourage peut-il influencer positivement l’évolution de la maladie ?
La stratégie adoptée pour faire face à un cancer varie sensiblement d’une personne à l’autre. Il n’y a pas de solution juste ou fausse. Je vois un très grand nombre d’hommes atteints d’un cancer de la prostate dans ma consultation d’uro-oncologie. De temps à autre, le ou la partenaire prend contact, parce que le patient n’ose pas le faire ou n’en a pas l’énergie à cause de ses symptômes. Il est important d’identifier ces situations et d’en parler.
Que souhaitez-vous à vos patients à l’avenir en matière de dépistage du cancer ?
En tant qu’oncologue, je n’ai pas un regard neutre dans ce domaine. En consultation, je vois énormément d’hommes atteints d’un cancer de la prostate découvert au stade avancé, car ils n’ont jamais fait d’examens de dépistage. Il n’est pas rare qu’ils se plaignent que personne ne leur ait parlé de dépistage. À l’avenir, j’aimerais que l’on communique davantage et de façon plus transparente sur les questions de santé, en particulier en relation avec la santé masculine. Les femmes sont exemplaires dans ce domaine, qu’il s’agisse de la prévention du cancer du sein ou d’autres problèmes.


